Freshkills TAIEB

« Freshkills » de Lucie Taïeb

La Contre-Allée | 2021 | 15 €

Dans le roman « Outremonde » de Don DeLillo paru n’en 1997, beaucoup d’entre nous découvrent pour la première fois l’immense décharge à ciel ouvert appelée Fresh Kills, sur l’île de Staten Island (état de New-York, USA). L’autrice Lucie Taïeb, vingt ans plus tard, et alors que cette décharge a « fermé », revient sur les lieux et tâche d’articuler un point de vue précis sur la problématique que pose la « réhabilitation » de ces 890 hectares (!) de monticules d’ordures, destinés à devenir un parc verdoyant, nommé Freshkills (sans l’espace initial).

Mais que fait-on de ces déchets qui ne sauraient être « traités », et que fait-on à part envoyer les ordures non-recyclables vers les pays pauvres lorsque l’on parle de « traiter » ? Que deviennent, que sont devenues les 30 000 tonnes d’ordures quotidiennes qui transitaient là entre 1948 et 2011, année de la fermeture de Fresh Kills ?
L’autrice met le doigt sur une multitude de problèmes, qu’elle manipule en posant des arguments concrets qui parlent bien suffisamment par eux-mêmes. L’écoeurante technocratie au service de l’économie auront tôt fait de faire diversion plutôt que de nous laisser nous coltiner pour de bon avec cette notion « d’effacement » que Lucie Taïeb ravive devant nos yeux. De la même manière qu’à Freshkills l’on tend des bâches par dessus les montagnes d’immondices accumulés au fil des décennies, pour les recouvrir de tapis d’herbe et faire croire que tout va bien, on se vante de « recycler » la terre, comme pour nettoyer un souvenir un peu trop puant.
En 2001, les débris du World Trade Center finissent à Fresh Kills (parmi lesquels des probables vestiges humains, à n’en pas douter) et aujourd’hui, les habitants de Staten Island font leur footing quelque part au dessus, entre un écureuil et un coucou. Le recyclage ne peut fonctionner que parce qu’il est rentable : mais rentable pour qui, et comment ? Nos habitudes d’ultra-consommation on un prix que personne ne veut payer : nos rebuts d’européens qui séparent le papier du plastique des ordures ménagères finissent en Asie.
Ce déni, cet « effacement » en est la plus belle et tragique illustration : ces processus -observés mondialement- enclenchés à grand coup de marketing « propre » sous tous rapports finiront-ils par effacer notre conscience d’être destructeur et toxique ?
Et si Freshkills était la plus belle allégorie qui soit lorsqu’il s’agit de parler de la mort, de la fin, du point de vue de l’homme contemporain, adepte à tous les égards d’un sens du tri et de la sélection dont les critères hurlent la dégueulasserie ?